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La torture en 2014, 30 ans d’engagement non tenus


Publié le 01-05-2014. Ajoutée le 23 September 2014




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INTRODUCTION DE SALIL SHETTY, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL D’AMNESTY INTERNATIONAL

Décharges électriques. Passages à tabac. Viols. Humiliations. Simulacres d’exécution. Brûlures. Privation de sommeil.Torture à l’eau. Longues heures dans des postures contorsionnées. Utilisation de tenailles, de substances médicamenteuses et de chiens.

Ces mots sonnent à eux seuls comme un cauchemar. Pourtant, tous les jours et dans toutes les régions du monde, ces horreurs inimaginables sont une réalité pour des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants.

La torture est une pratique odieuse. Elle est barbare et inhumaine. Rien ne saurait la justifier. C’est une pratique indéfendable, contre-productive, qui corrompt l’état de droit et le remplace par la terreur. Personne n’est en sécurité lorsque l’État autorise son usage.

En 1948, après les atrocités de la Seconde Guerre mondiale, les gouvernements du monde entier ont reconnu ces vérités fondamentales en adoptant la Déclaration universelle des droits de l’homme. Ce texte a consacré un droit fondamental : le droit de chacun d’entre nous, quel que soit l’endroit où il se trouve, de ne pas subir de torture – le droit d’échapper à la cruauté.

Ce droit, qui est au coeur de notre humanité partagée, a par la suite été reconnu dans un traité international juridiquement contraignant : le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté en 1966, qui contient une interdiction absolue de la torture et des autres mauvais traitements.

Il y a tout juste 30 ans, cette avancée a été confortée par l’adoption par les Nations unies de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Convention contre la torture). Ce texte a constitué un progrès sans précédent : il a apporté une série de dispositions concrètes pour faire de l’interdiction mondiale de la torture une réalité, en proposant des mesures inscrites dans la loi et spécifiquement conçues pour empêcher la torture, en punir les auteurs et garantir justice et réparation aux victimes.

Ces mesures visent non seulement à mettre un terme à la torture et aux autres mauvais traitements à l’intérieur des frontières de chaque pays, mais aussi à garantir que nul ne soit expulsé dans un pays où il risque d’être torturé et à faire en sorte qu’il n’y ait pas de refuge possible pour les auteurs de tels actes.

Les tortionnaires sont maintenant hors-la-loi presque partout dans le monde. Un cadre juridique international solide a été mis en place et la Convention contre la torture compte aujourd’hui 155 États parties. C’est un progrès réel, et un progrès important.

Cependant, nombreux sont les gouvernements qui ne respectent pas leurs obligations. Trente ans après l’adoption de la Convention – et plus de 65 ans après celle de la Déclaration universelle – la torture est non seulement toujours pratiquée,

mais elle est même prospère. L’ampleur inacceptable de cette pratique révèle le fossé qui existe entre ce que les gouvernements ont promis il y a 30 ans et ce qu’ils font aujourd’hui.

Au cours de ces cinq dernières années, Amnesty International a signalé des cas de torture et d’autres mauvais traitements dans 141 pays de toutes les régions du monde. Si dans certains pays il s’agissait de cas isolés et exceptionnels, dans d’autres la torture est une pratique généralisée. Quoi qu’il en soit, le moindre acte de torture ou de mauvais traitement, même isolé, est inacceptable.

Ce chiffre donne une idée de l’étendue du problème, mais nous ne pouvons rendre compte que des cas dont nous avons connaissance. Nos statistiques sont donc bien loin de refléter l’ampleur réelle de la torture dans le monde. De même, elles ne permettent pas de rendre compte à leur juste mesure de la réalité abjecte de la torture ni de son coût en termes de vies humaines.

La torture est un outil particulièrement apprécié des forces de répression, mais elle ne se limite pas pour autant aux pays dirigés par des tyrans ou des dictateurs – même si c’est sous ce type de régime qu’elle est la plus courante. Elle n’est pas non plus l’apanage des polices secrètes. Si beaucoup d’États ont pris au sérieux l’interdiction universelle de la torture et ont fait de grands progrès dans la lutte contre cette pratique, des gouvernements de tous bords politiques et de tous les continents continuent de se rendre complices de ce qui constitue le degré suprême de l’inhumanité, utilisant la torture pour arracher des informations, contraindre des suspects à avouer ou réduire des opposants au silence – ou simplement à titre de châtiment cruel.

Il est extrêmement préoccupant de constater, comme le montre un récent sondage mondial commandé par Amnesty International, que 30 ans après l’adoption de la Convention, près de la moitié de la population mondiale ne se sent toujours pas à l’abri de cette pratique abjecte.

UNE CRISE MONDIALE DE LA BARBARIE, DE L’ÉCHEC POLITIQUE ET DE LA PEUR

Les gouvernements ont interdit cette pratique déshumanisante en droit et exprimé sur la scène internationale le dégoût qu’elle leur inspire, mais nombre d’entre eux continuent d’y recourir ou de faciliter son utilisation. Cet échec politique est aggravé et alimenté par un refus destructeur d’admettre la réalité. Ceux qui ordonnent et commettent la torture échappent le plus souvent à la justice. Ils agissent généralement en toute impunité, sans qu’aucune enquête ne soit ouverte ni aucune poursuite engagée.

Plutôt que de respecter l’état de droit en appliquant une tolérance zéro à l’égard de la torture, des gouvernements mentent quotidiennement à leur population et au monde à propos de cette pratique. Au lieu de mettre en place des garanties pour protéger leurs citoyens contre les tortionnaires, ils laissent la torture se développer. L’omniprésence et le caractère pernicieux de cette pratique sont la preuve qu’une interdiction mondiale ne suffit pas.

Notre sondage mondial montre également que la grande majorité des gens souhaite des règles claires contre la torture. Ces règles et d’autres garanties permettraient de prévenir la torture et, à terme, d’y mettre fin. Il faut cesser le double langage sur la torture. Il faut mettre un terme à l’impunité.

Depuis plus de 50 ans, Amnesty International est au combat pour éradiquer les actes qui sont parmi les plus cruels qu’un être humain puisse commettre à l’égard d’un autre. Il y a 30 ans, notre mouvement a mené une grande campagne en faveur de l’adoption de la Convention contre la torture. Nous lançons aujourd’hui une nouvelle campagne mondiale, baptisée Stop Torture, pour que les engagements pris dans cette Convention soient respectés. Cette nouvelle campagne est un appel à se rassembler pour dire stop à la torture. Il est possible d’éradiquer cette pratique si chacun d’entre nous – du simple citoyen au chef d’État – s’interpose entre les tortionnaires et leurs victimes.

Amnesty International va mobiliser dans le monde entier pour mettre un terme à la torture. Nous nous adresserons aux gouvernements, organiserons des manifestations et dénoncerons la cruauté de cette odieuse pratique. Nous nous tiendrons aux côtés de ceux qui défendent courageusement les autres contre la torture. Ensemble, nous interviendrons chaque fois que des gens seront torturés. Nous obligerons les tortionnaires à rendre des comptes. Celles et ceux qui ont survécu à la torture sauront qu’on ne les oublie pas et qu’ils ne sont plus seuls.

Notre histoire est marquée par la lutte contre la torture. C’est un combat que nous avons mené par le passé, et que nous continuerons de mener à l’avenir – jusqu’à ce que la dernière chambre de torture mette la clé sous la porte.




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