Préalablement à la réunion qui s’est tenue le 5 mai 2015 entre la Tunisie et l’Union Européenne, le Réseau Euro-méditerranéen des Droits de l’Homme (REMDH) a rédigé une note sur la situation des droits de l’homme en Tunisie, comprenant différentes recommandations pouvant servir à orienter les discussions. Ce travail est le fruit d’une collaboration du REMDH avec plus de 50 organisations, dans le cadre du projet « Mobilisation de la société civile dans le suivi des relations entre la Tunisie et l’UE ».
Nous traiterons ici les différentes problématiques et recommandations mises en exergue dans cette note. Ces dernières impliquent principalement la mise en application de la constitution de 2014 et des conventions internationales ratifiées par la Tunisie. Plusieurs thèmes sont abordés : la sécurité, les violences faites aux femmes, les droits de manifestations, la réforme du système de justice, la protection des migrants, la promotion des droits économiques, sociaux et culturels.
La sécurité
Un problème important a fait surface concernant la lutte contre le terrorisme. Il s’agit du risque d’atteinte aux libertés fondamentales que celle-ci comporte, notamment la liberté d’expression par l’entrée en vigueur de lois trop répressives telles que la loi n°2014-9 et 2015-25.
Le REMDH recommande donc de lier les impératifs de prévention et de lutte efficace contre le terrorisme au respect des droits humains.
La violence à l’égard des femmes
Bien que la constitution consacre les mêmes droits aux femmes et aux hommes (article 21 et 46), on y trouve des ambiguïtés qui peuvent être interprétées et transposées dans les textes juridiques de manière non conforme aux standards internationaux. Les violences faites aux femmes par exemple bénéficient d’un vide juridique et restent impunies. Pour pallier à cela, un avant-projet de loi a été constitué mais s’est heurté à une virulente opposition au sein du gouvernement, bloquant ainsi le processus. D’autre part, la Tunisie avait émis des réserves concernant la convention internationale pour l’élimination de toutes les formes de discrimination envers les femmes. Ces réserves ont été levées, mais la déclaration générale est restée en vigueur et freine le processus d’adoption de cette convention.
Les principales recommandations du REMDH sont donc les suivantes :
- Adopter au plus vite la loi intégrale contre la violence à l’égard des femmes et des filles et effectuer les réformes en conséquence.
- Envisager la ratification de la convention du Conseil de l’Europe contre la violence faite aux femmes ainsi que celles de l’organisation internationale du travail, notamment celle concernant les droits socio-économiques des femmes.
- Lever la déclaration générale de réserves concernant la convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination envers les femmes.
- Prendre en compte la dimension « genre » dans l’élaboration des lois, des budgets de l’Etat et des plans de développement
- Garantir la parité homme femme dans la loi électorale relative aux élections municipales.
Liberté de réunion
La liberté de réunion est effective en Tunisie dans les faits, mais reste punie dans la loi (Loi n°69-4 du 24 Janvier 1969). D’autre part, des abus de la part des forces de l’ordre ont conduit à des graves incidents (dernier en date, la mort d’une personne suite à un sit-in pacifiste le 27 juillet 2013 après la mort de Mohamed Brahmi) et on ne connaît pas les résultats des commissions d’enquête saisies suite à ces faits.
Le REMDH recommande donc :
- Réviser la loi du 24 janvier 1969 pour la mettre en conformité avec les standards internationaux et les nouvelles dispositions de la constitution Tunisienne.
- Réformer le secteur de la sécurité en Tunisie en définissant une chaîne de responsabilité claire, en mettant sous contrôle les différentes forces de sécurité et en améliorant les formations (notamment à la bonne utilisation de la force et des armes anti-émeutes).
- Adopter des règles claires, détaillées et contraignantes pour l’usage de la force contre les manifestants en conformité avec les principes de base des Nations Unies.
- Faire suivre toute plainte ou possible atteinte aux droits humains d’une enquête indépendante et impartiale permettant de poursuivre les responsables et dédommager les victimes.
Réforme du Système de Justice
Les pratiques de l’ancien régime en termes de corruption et d’ingérence dans les affaires de la justice ont laissé des traces qui persistent encore : lourdeur, iniquité du système judiciaire, risque d’interférences dans le mode de recrutement et la gestion de carrière des magistrats de la part du pouvoir exécutif. L’accès aux archives est par complexe et devrait être géré par un mécanisme indépendant pour éviter toute manipulation.
Le REMDH incite donc à :
- Assurer un processus de réforme de la justice transparent et participatif, reconnaissant la nécessité et l’importance d’y impliquer la société civile tunisienne en tant qu’acteur concret.
- Informer et sensibiliser les citoyens tunisiens quant à leurs droits, notamment par l’accès facile à l’information juridique et à l’aide juridictionnelle pour les groupes plus vulnérables
- Renforcer la capacité des magistrats en matière de déontologie pour assurer leur indépendance, impartialité et intégrité.
- Décentraliser la justice administrative et réformer la carte judiciaire pour assurer une justice de proximité.
- Clarifier les textes de loi concernant les archives pour en assurer un accès et une utilisation encadrés et pertinents.
- Revoir la loi sur la justice transitionnelle pour assurer sa conformité avec les standards internationaux. (Notamment concernant le nombre et la répartition des chambres spécialisées au sein des tribunaux de première instance ; le respect du droit au double degré de juridiction par la création de chambres spécialisées au sein des Cours d’appel)
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